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Hommages :
Mouloud
Mammeri
Lettre à Da L'mulud
par
Tahar Djaout
Lettre de Tahar Djaout à Mouloud Mammeri
Cette lettre a été écrite par Tahar Djaout après la mort ( 25 le 1989
février ) de Mouloud Mammeri en 1989 et a été publié par AWAL.
Comme il va être dur de devoir
désormais parler de toi au passe! Quelques heures après ta mort, que ta famille et tes amis ignoraient encore, un universitaire
qui venait d'assister a ce colloque d'Oujda d'ou tu revenais toi aussi
m'entretenait de toi. Il me disait, entre autres, que tu avais passe sept heures
a la frontière; trois heures et demie du cote algérien et autant du cote
marocain. En dépit de ce que tu as donne a la culture maghrébine, tu demeurais
un citoyen comme les autres, un homme qui n'a jamais demande de privilèges qui
a, au contraire, refuse tous ceux qui lui ont été proposes. Depuis le prix littéraire
qui a couronne ton premier roman et que tu as refuse d'aller
recevoir, tu t'es méfie de toutes les récompenses parce que tu savais qu'elles
demandaient des contreparties. Tu n'étais pas de ces écrivains qui voyagent dans
les délégations officielles, dans les bagages des ministres ou des présidents,
et qui poussent parfois le cynisme jusqu'a écrire, une fois rentres, des
articles contre les intellectuels aux ordres des pouvoirs !
Tes rapports avec le pouvoir (tous les pouvoirs) ont
été très clairs; une
distance souveraine. Tu étais, au lendemain de l'indépendance, président de la
première Union d'écrivains algériens. Mais le jour ou l'on était venu t'informer
que l'Union allait passer sous l'autorité du Parti, tu avais remis le tablier
avec cette courtoisie seigneuriale qui t'est coutumière. Tu n'acceptais aucune
contrainte, aucun boulet a ton pied, aucune laisse a ton cou. Tu étais par
excellence, UN HOMME LIBRE. Et c'est ce que AMAZIGH veut dire. Cette liberté t'a
coûté cher. De toute façon, tu en savais le prix et tu l'a toujours accepte. Tu
as été peut-être le plus persécute des intellectuels algériens, toi l'un des
fils les plus valeureux que cette nation ait jamais engendres. Le soir ou la télévision
avait annonce laconiquement et brutalement ta mort, je ne pus m'empêcher,
en dépit de l'indicible émotion, de remarquer que c'était la deuxième fois
qu'elle parlait de toi; la première fois pour t'insulter lorsque, en 1980, une
campagne honteusement diffamatoire a été déclenchée contre toi et la deuxième
fois, neuf ans plus tard, pour nous annoncer ta disparition. La télévision de
ton pays n'avait aucun document a nous montrer sur toi; elle ne t'avait jamais
filme, elle ne t'avait jamais donne la parole, elle qui a pérennise en des kilomètres
de pellicule tant d'intellectuels approximatifs, tant de manieurs de
plume aux ordres du pouvoir.
Mais je vais clore la le chapitre navrant et long des brimades. Ce serait faire
affront a ta générosité et a ta noblesse d'âme que de m'attarder a l'énumération
des injustices, des diffamations qui glissaient sur toi comme de simples égratignures, qui te faisaient
peut-être mal a l'intérieur mais ne
transparaissaient pas. Tes préoccupations étaient ailleurs, tu avais autre chose
a faire. Et puis, tu respectais trop les autres, même lorsqu'ils te faisaient du
mal. Sans avoir jamais prétendu donner de leçon, ta vie, ton comportement, ton
courage et ton intégrité constituaient en eux mêmes un exemple et une leçon.
C'est pourquoi, toi l'homme modeste et brillant qui ne se montre gène et pris de
court que lorsqu'il s'agit de lui-même, tu as toujours été au coeur de ce qui
fait ce pays. Et les 200 000 personnes venues de toute l'Algérie escalader ces
"chemins qui montent" pour t'accompagner a ton ultime demeure au coeur
du Djurdjura témoignent en quelque sorte de cela. Toi l'homme pacifique et courtois, toi qui ne claques les portes que lorsqu'un pouvoir ou une chapelle
quelconque tente de t'embrigader, tu as aide, non par des déclarations fracassantes, mais par ta
lucidité, par ton travail intellectuel minutieux et
soutenu, au lent cheminement de la tolérance et de la liberté.
Qui peut oublier les
débuts de l'année 80 ? Des hommes qui nient une partie de
la culture de ce peuple (tout le monde heureusement a oublie leurs noms, car ce
ne sont pas des noms que l'histoire retient) t'interdisent de prononcer une conférence
sur la poésie kabyle. De partout, de Bejaia, de Bouira, de
Tizi-Ouzou, la Kabylie se lève pour défendre ses poètes. Et c'est toute l'Algérie
qui, peu a peu, année après année, rejettera les baillons, les exclusions, les
intolérances, la médiocrité et qui un jour d'octobre descendra dans la rue pour
l'affirmer en versant une fois encore son sang. Toi, l'humaniste sceptique et indépendant
qui n'a jamais assené de vérité, qui n'a jamais juge personne, tu étais, presque
malgré toi, en amont d'une prise de conscience.
Et voici que nous devons désormais nous passer de ta présence chaleureuse et
brillante, de ta superbe intelligence, de ta bonne humeur a toute épreuve, de
ton endurance physique (on peut difficilement t'imaginer malade, par exemple)
qui te faisait faire des centaines de kilomètres par jour pour aller donner bénévolement
une conférence et remonter tout de suite après dans ta voiture. Tu
es mort au volant de ta 205 (une voiture de jeune) comme le jeune homme fougueux
que tu as toujours été. Sois rassure, Da Lmulud, la dernière image que je
garderai de toi ce n'est pas celle, émouvante, du mort accidente que j'ai vu
mais celle de ce jeudi 16 février ou nous nous étions retrouves avec d'autres
amis a Ighil-Bwamas pour discuter du tournage d'un film. Tu étais élégant et
alerte comme toujours, en tennis. Tu étais le premier au rendez-vous. Tu nous
plaisantais sur notre retard, disant que tu croyais te tromper de jour. Tu étais
aussi le premier a repartir, toujours disponible et toujours presse. Tu avais
beaucoup de choses a faire, a donner a cette culture que tu as servie généreusement, sans rien demander en retour, supportant au contraire avec
dignité les brimades que ton travail t'attirait. Tu étais impatient en ce jeudi
16 février comme si tu savais déjà que le temps pressait. Je te vois monter dans
ta 205 et démarrer bruyamment sur la route difficile tandis que nous étions encore a bavarder.
C'était la dernière fois que je devais te voir vivant.
La jeunesse assoiffée de culture et de
liberté t'a toujours reconnu comme l'une
de ses figures symboliques, quelques intellectuels et artistes t'ont toujours témoigne
amitié, respect ou admiration dans les moments les plus difficiles.
Mais ces derniers mois, c'est tout le monde intellectuel et médiatique algérien
qui a commence a comprendre ton importance et qui a recherche ton point de vue.
C'est vrai que certains medias, qui avaient peur de "se compromettre",
te sont demeures fermes jusqu'a ta mort. Mais que de projets auxquels des gens
voulaient t'associer ! que de journaux t'ont interviewe ! Et toi, porte et comme
enivre par cette brise de liberté, tu te démenais, tu prenais ta voiture, sillonnais
les routes et te rendais partout ou l'on te sollicitait. Oran,
Ain-El-Hammam (ou tu devais rendre hommage a Si Mohand ou Mhand et ou l'on
t'avait offert un burnous), Bejaia. Et enfin Oujda. Au mois de janvier, a
Bejaia, ta conférence sur la culture berbère a draine tellement de monde
qu'aucun édifice ne pouvait le contenir. Et c'est dans le stade de la ville que
des milliers de gens t'ont écoute et ont discute de leur culture. Quelle belle
revanche sur l'interdiction de ta conférence en 1980 ! Quel trajet parcouru
depuis cette date sur le chemin de l'expression libre !
Je te revois a cette époque
ou nous préparions l'entretien qui allait paraître aux éditions Laphomic. Je me rappelle la
vivacité de ton intelligence, ton sens
de la repartie, ta pudeur et ta gène lorsque nous sortions du domaine de l'esthétique
ou des idées et que je te demandais de parler de toi-même ( ton combat
nationaliste, par exemple, ton militantisme au MTLD, ce que tu as souffert durant
la guerre, tu ne les évoquais jamais même lorsqu'on te contestait ton passe ou
qu'on t'en fabriquait un autre ). Je me rappelle surtout ta jeunesse indéfectible.
Je nous revois prenant des glaces dans l'un de ces innombrables salons de thé qui encombrent la rue Ben
M'hidi ou dans le café "Le Véronèse" a
Paris.
Tu seras toujours près de nous,
éternel jeune homme des Ath Yenni et d'Algérie.
Qim di lehna
Tahar Djaout

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