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Lettre
à J. CHIRAC
Paris, le 30/12/2002
Monsieur Jacques
CHIRAC, Président
de la République
Palais
de L’Elysée,
75008
Paris
Objet :
« Année de l’Algérie en France »
Monsieur
Le Président,
Au cours de l’année 2003, la France accueille « l’année de l’Algérie »,
un projet porté par les deux pays, censé présenter aux français les diverses
facettes de la culture algérienne, contribuant ainsi à rapprocher les peuples
français et algérien, déjà liés par une longue Histoire commune et des échanges
aussi importants que multiformes.
Cette main tendue par delà la Méditerranée aurait été des
plus louables et aurait bénéficié de toute la force symbolique
attachée à un tel geste d’amitié entre deux peuples si elle
devait réellement contribuer à aider l’Algérie à
s’inscrire résolument dans la voie de la paix, de la démocratie
et de la modernité. Malheureusement, cette initiative se produit
dans un contexte et des conditions qui la dépossèdent de toute
crédibilité et en définitive la privent de toute efficacité
quant à l’objectif visé.
Le contexte que nous connaissons aujourd’hui est celui d’un
Etat violent, répressif, qui interdit ou restreint les libertés
fondamentales et qui viole massivement et quotidiennement les plus
élémentaires des droits humains.
A ce jour, Monsieur Le Président, la répression policière a
fait 122 victimes innocentes en Kabylie, pour la plupart des
jeunes qui avaient pour seul tort de crier publiquement leur désarroi.
A cela il faut ajouter plusieurs milliers de blessés dont un
grand nombre resteront handicapés à vie. Les délégués du
mouvement citoyen des Aarchs, cette organisation sociale « des
plus simples et des plus démocratiques qui se puisse imaginer »
comme l’écrivit le Général Hanoteaux en 1893 dans son livre
« La Kabylie et les coutumes kabyles », sont
arbitrairement arrêtés et détenus alors que les gendarmes qui
ont tué, mis clairement en cause par la commission d’enquête
officielle dirigée par le Pr Issad, jouissent de la plus totale
impunité. La traque policière à l’encontre des délégués de
ce mouvement pacifique et l’insécurité civile créée et
entretenue par les forces censées maintenir l’ordre, ont
contraint à l’exil plusieurs milliers de kabyles, particulièrement
depuis le sanglant printemps
noir 2001.
Nous nous permettons d’attirer particulièrement votre
attention, Monsieur Le Président, sur le risque de mort imminente
qui guète les prisonniers politiques en grève de la faim depuis
bientôt un mois dans la prison de Tizi-Ouzou, qui hurlent
silencieusement leur faim de justice.
Cette situation tragique est du seul fait d’un système de
gouvernement qui fait fi des droits et des principes humains
universellement reconnus.
Dans ces conditions, « l’année de l’Algérie » en France apparaît
clairement comme un simple instrument, un de plus, pour afficher une façade
respectable de l’Etat algérien. Le programme des manifestations culturelles
lui-même illustre parfaitement cette volonté du pouvoir algérien de « blanchir »
à bon compte une réputation bâtie sur 40 années de despotisme, de
corruption, d’injustices et de répression. Hormis le folklore, les thèmes
fondamentaux qui font l’Algérie d’aujourd’hui sont ignorés du programme
officiel, comme c’est le cas pour la culture amazighe (berbère), cette
culture autochtone plusieurs fois millénaire que partage pas moins d’un tiers
de la population algérienne. De même, aucune place n’est accordée à la très
préoccupante question de la Kabylie, une région qui paie par le sang et les
larmes son obstination à réclamer un état de droit et une prise en considération
de son identité.
La France n’a pas le droit de fermer les yeux devant cette réalité aussi dérangeante
soit-elle, comme elle ne devrait pas servir de principal soutien au système
politique algérien actuel.
Par ailleurs, les citoyens français d’origine berbère et l’immigration
berbère qui constituent une communauté de quelques deux millions de personnes
(environ la moitié de l’immigration nord-africaine) ont légitimité à
attendre que leur culture d’origine ait la place qui lui revient de droit dans
ce programme. Ils s’interrogent alors sur les motifs de son exclusion de
« l’année de l’Algérie » ? Comment expliquer que la
France officielle accepte ce qui apparaît comme un prolongement sur son
territoire, de la politique algérienne ?
Monsieur Le Président, en conformité avec leurs propres valeurs de liberté,
de justice, de tolérance, de laïcité, de droits de l’homme et de démocratie,
les citoyens français d’origine berbère qui adhérent naturellement aux
valeurs de la République, ne sauraient comprendre un tant soit peu, que les
choix du gouvernement français viennent contredire ces mêmes valeurs ou que la
raison d’Etat l’emportât sur le droit des citoyens.
En tant qu’ONG internationale de défense des droits du peuple berbère et
dans le contexte brièvement décrit ci-dessus, nous en appelons, Monsieur Le Président,
à votre conscience d’homme et au défenseur des valeurs humaines que nous
connaissons. Nous espérons vivement un geste de votre part, aussi symbolique
soit-il, qui réaffirmerait l’engagement indéfectible de la France aux côtés
des Droits de l’Homme et exprimerait votre solidarité avec les victimes du
combat démocratique en Algérie et particulièrement en Kabylie.
Veuillez accepter, Monsieur Le Président, nos vœux les plus sincères et
l’expression de notre haute considération.
Le Président du CMA : B.
LOUNES
Copie :
-
Mr Jean Louis
Debré, Président de l’Assemblée Nationale
-
Mr Christian
Poncelet, Président du Sénat
-
Mr Jean Pierre
Raffarin, Premier Ministre
-
Mmes, Messieurs
les Présidents des partis politiques